Egypte, le triple échec des Frères musulmans
LE MONDE | 29.06.2013 à 09h56 • Mis à jour le 29.06.2013 à 10h59
L’Egypte vit des heures difficiles, peut-être décisives, pour l’avenir de la démocratie dans le plus grand des pays arabes. Il y a dans les rues du Caire et dans les autres grandes villes égyptiennes comme un air d’affrontement, de guerre civile naissante. En gros, l’Egypte “laïque”, qui appelait à manifesterdimanche 30 juin, conteste “l’Egypte des Frères musulmans”. Au point que l’armée, déployée pour protéger les bâtiments officiels, menace d’intervenir “face à la spirale qui entraîne le pays dans un conflit incontrôlable”.
Premier président démocratiquement élu dans l’histoire de l’Egypte et premier civil à occuper cette fonction, Mohamed Morsi, venu des Frères musulmans, fête un anniversaire bien sombre. Installé à la tête de l’Etat en juin 2012, il affiche un bilan désastreux. Echec politique d’abord. M. Morsi a été incapable de faire les gestes, de trouver le ton, de manifester le talent nécessaire pour rassembler au-delà du courant qu’il représente.
Ses partisans ont beau jeu de dire que l’opposition laïque a rejeté les propositions d’ouverture faites par le raïs. La vérité est que le président a sans cesse paru hésitant, inapte à tenir un cap explicite. Le professeur d’ingénierie a donné l’impression d’être dépourvu des qualités de leadership requises pour tenir les rênes du pays.
Echec économique et social ensuite, d’autant plus ressenti que les Egyptiens imaginaient volontiers que le changement de régime améliorerait radicalement leur situation. Pour la plupart d’entre eux, ils sont d’abord occupés à survivre – lendemains qui pleurent. Accablant, l’état économique du pays est le reflet d’une situation politique chaotique. Il témoigne de l’absence totale de programme économique et de savoir-faire gestionnaire de la part des Frères musulmans. Ils n’ont pas montré qu’ils avaient le secret d’une voie qui allierait conservatisme religieux et modernité économique.
Ainsi s’est coalisé un vaste mouvement d’opposition, qui regroupe l’essentiel du camp laïque – plus quelques revanchards de l’ancien régime – et qui peutcapitaliser sur le désespoir d’une bonne partie des Egyptiens. A coups de pétitions signées par des millions d’électeurs, ils réclament la démission de M. Morsi et un scrutin présidentiel anticipé.
Très hétéroclite, cette coalition ne paraît guère, elle non plus, avoir de programme commun, qu’il s’agisse de l’avenir politique ou économique du pays. Ce qui la cimente, c’est l’hostilité à M. Morsi et la crainte que celui-ci – ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent – n’engage l’Egypte sur la voie de l’intégrisme islamique. Estimant sa légitimité défiée par la rue, le président s’est crispé et, face à l’opposition laïque, a eu le plus mauvais des réflexes : se reposer sur les éléments les plus radicaux de sa mouvance.
Ce faisant, il a exacerbé le climat d’affrontement et amené l’armée à menacerd’intervenir. Troisième acteur du drame en cours, celle-ci en est largement responsable. C’est elle qui a pris les commandes au lendemain du départ de M. Moubarak et, dix-huit mois durant, sa gestion a été calamiteuse, laissant à ce premier pouvoir civil un pays exsangue.
Idéalement, les deux camps attachés au rejet de ce qu’a été l’ancien régime devraient dialoguer. Et puiser dans le Nil séculaire un peu de la sagesse requise pour qui prétend gouverner ce vieux pays.